Mercredi 19 février, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat devront se prononcer sur une nomination proposée par le Président de la République, aussi grotesque que grave, celle de Richard Ferrand à la tête du Conseil Constitutionnel.
Avant d’entrer dans le cas personnel de Richard Ferrand, j’aimerais expliquer l’importance capitale que revêt cette décision.
Le Conseil constitutionnel n’est pas un organe secondaire de la République. Ce n’est pas un club de gestionnaires politiques où l’on place des amis du pouvoir. Il est, avec le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, le garant de l’État de droit.
Il lui incombe la primordiale et lourde tâche de veiller à la conformité des lois avec la Constitution, c’est-à-dire de garantir que la Constitution est respectée, c’est-à-dire de protéger notre démocratie dans ce qu’elle a de plus fondamental.
Nommer ses membres est une décision d’autant plus sérieuse que l’État de droit et la démocratie sont partout attaqués, en Europe et à travers le monde.
Or quand le pouvoir dérive, quand l’arbitraire pointe, quand le populisme grandit, les personnes qui, en dernier recours, sont chargées de juger de la conformité des décisions des dirigeants avec la Constitution sont aussi les derniers recours de la démocratie elle-même. Tout récemment en Roumanie, c’est bien la cour constitutionnelle qui a permis d’annuler une élection présidentielle entachée d’ingérences russes.
Et c’est précisément pour cette raison, parce que les Cours constitutionnelles sont les derniers remparts contre l’autoritarisme, que tous les dirigeants autoritaires, en Hongrie comme en Pologne, s’attaquent systématiquement à leur indépendance.
Le choix du président du Conseil constitutionnel n’est donc pas une formalité administrative ni une simple décision politique. C’est un choix qui engage l’équilibre démocratique du pays. Il doit être fait avec toute la gravité, l’exigence, mais aussi toute la hauteur qu’il requiert.
Alors pourquoi Richard Ferrand ne peut-il présider le Conseil Constitutionnel?
D’abord, et c’est gênant de devoir rappeler que c’est un problème, parce qu’il n’a strictement aucune compétence pour le faire.
Richard Ferrand n’a aucune formation juridique, aucune expérience en droit constitutionnel et n’a jamais exercé la moindre fonction judiciaire. Et je sais bien qu’à l’heure de la vague trumpiste, la tendance est au dénigrement de la compétence et de l’expérience, voire même à la revendication populiste de son absence.
Mais la France ne peut à ce point tomber dans cette dérive. Le droit constitutionnel est une matière complexe, animée par des débats profonds et étoffée de décennies de doctrine et de jurisprudence.
De la même manière qu’on ne peut laisser quelqu’un n’ayant aucune formation médicale pratiquer une opération à cœur ouvert, on ne peut laisser le contrôle de la constitutionnalité des lois à quelqu’un qui n’a jamais fait de droit constitutionnel.
C’est insensé, indigne et dangereux.
Ensuite parce qu’il n’a aucune des qualités morales que la fonction exige.
Le parcours de Richard Ferrand est entaché d’affaires qui posent la question de son exemplarité et de sa probité. Son implication dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne a laissé un doute sérieux sur son intégrité. Comment accepter qu’un homme dont le nom a été mêlé à des soupçons d’enrichissement personnel soit demain chargé de préserver l’Etat de droit en France ?
Le président du Conseil constitutionnel doit être irréprochable. Non seulement devant la loi, mais aussi aux yeux des citoyens. La confiance dans les institutions repose sur cette exigence.
Enfin, et c’est le plus grave, parce que le soupçon d’impartialité et l’allégeance au pouvoir exécutif qui plane sur lui met en danger toute la robustesse du contrôle de constitutionnalité, et donc la robustesse de l’Etat de droit lui-même.
Richard Ferrand est un des plus proches alliés d’Emmanuel Macron, sinon le plus proche. Il fut l’un des premiers soutiens du président, l’un de ses plus fidèles stratèges, un artisan de sa victoire. À la tête de l’Assemblée nationale, il a toujours privilégié les intérêts du gouvernement. Son parcours politique le raconte à la nation : il est un homme de clan, pas un homme d’Etat.
Alors peut-on penser qu’il saura, au-delà de tout soupçon, être un arbitre impartial ? C’est impossible.
Or, la solidité de l’État de droit ne repose pas seulement sur l’interprétation juste des lois, mais aussi sur la confiance dans celles et ceux qui les interprètent, sur leur droiture, leur indépendance, leur impartialité.
Si Richard Ferrand devient Président du Conseil Constitutionnel, qu’il soit, dans les faits, partial ou impartial, le soupçon de politisation nuira à la légitimité de toutes les décisions du Conseil constitutionnel.
Ce discrédit mettra en péril la fonction même du Conseil constitutionnel. Car une justice constitutionnelle qui n’inspire plus confiance n’a plus sa légitimité, et une justice qui n’a plus de légitimité est une justice qui meurt. Et c’est tout ce que veulent les adversaires de l’Etat de droit.
Toutes celles et ceux qui s’en prennent régulièrement aux décisions du Conseil constitutionnel, à celles de la Cour européenne des Droits de l’Homme, toutes celles et ceux qui dénoncent la Charte européenne des droits fondamentaux, la Cour européenne de Justice et les différentes conventions des Nations unies ne cherchent qu’une chose: délégitimer les décisions de ces institutions pour mieux s’attaquer à leur existence même.
Et il n’existe pas de plus grande délégitimation de la justice que sa politisation.
Nommer Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel, c’est offrir aux ennemis de l’État de droit la meilleure arme possible pour le détruire.
C’est pour cela que, en conscience, toutes celles et ceux qui, indépendamment de leur couleur politique, veulent garantir l’Etat de droit et la démocratie doivent, mercredi 19 février, se prononcer contre cette nomination.