Ces dernières semaines, à la faveur des discussions qui ont conduit à l’émergence d’une coalition de la gauche et des écologistes en vue des élections législatives, l’Europe a refait surface dans le débat public.
C’est une excellente nouvelle.
Et en ce 9 mai 2022, une nouvelle porteuse d’espoir.
L’Union européenne n’est pas un objet extérieur, une entité figée, une construction stable et immuable. L’Union européenne est un espace démocratique. Elle est donc fragile et perfectible, décevante et nécessaire, insuffisante et indispensable.
C’est un espace éminemment politique, un espace à investir, approfondir, un espace où des majorités se construisent, se déconstruisent, où des batailles se gagnent, se perdent, où des orientations politiques se décident, ensemble, où notre avenir se dessine, tous les jours.
Il n’y a donc rien de plus destructeur pour l’Europe que sa dépolitisation.
Il n’y a rien de pire pour notre avenir commun que ce renoncement fainéant, l’acceptation des termes de ce duel mortifère qui empoisonnent tant nos débats, cette idée absurde et dangereuse selon laquelle il y aurait à choisir entre deux camps, les pro-européens qui se vautrent depuis des décennies dans le statu quo néolibéral d’un côté et les nationalistes qui veulent nous priver du seul espace démocratique à même de construire les réponses aux défis du 21ème siècle de l’autre.
Accepter de s’enferrer dans cette dichotomie, c’est tuer l’Europe.
C’est renoncer à ce qui en fait sa raison d’être, la bataille des idées, la confrontation démocratique des projets pour notre continent, la démocratie au fond. C’est laisser les tenants du productivisme, de la concurrence sociale et fiscale, des logiques austéritaires et de la casse sociale – au niveau européen comme au niveau national (car oui, ce sont les mêmes) – nous dicter notre avenir, briser nos solidarités et faire monter la peste brune qui pourrait toutes et tous nous balayer.
C’est accepter l’escroquerie si courante de la faute à l’Europe lointaine, abstraite, hors sol, quand la responsabilité des politiques néolibérales incombent le plus souvent aux responsables nationaux, les mêmes qui ont beau jeu de se défausser sur l’Europe pour justifier leurs politiques impopulaires auxquelles ils souscrivent de la même manière à Bruxelles.
Je suis une femme politique européenne. Je suis fédéraliste.
L’Europe est mon espace de projection démocratique, l’horizon dans lequel je perçois l’intérêt général, les enjeux de notre siècle et ses immenses dangers.
A l’inverse de beaucoup de responsables politiques français.es, c’est là que je suis née politiquement. J’ai commencé ma vie politique au Parlement européen. J’ai fait mes premiers pas dans les négociations de longues haleines, entre groupes politiques et Etats-membres, sur un nombre incalculable de dossiers, de règlements et de directives européennes.
Ce que l’on appelle la « bulle européenne » est un monde de débats, de conflictualité, de désaccords, de négociations, de stratégies, d’alliances. C’est un monde politique. Un monde éminemment politique, partagé entre européen.ne.s, un monde où les majorités qui décident ne sont ni plus ni moins que les majorités issues des élections européennes et nationales.
C’est donc un monde en mouvement.
Un monde qu’il faut profondément changer pour le protéger, pour nous protéger.
Et qu’il faut changer maintenant.
Quiconque a travaillé au niveau européen, quiconque s’est investi dans la construction d’une Europe plus sociale, plus écologique, plus démocratique, sait que nous devons changer. Les séquelles de la règle de l’unanimité qui nous empêche de lutter contre l’évasion fiscale, les discriminations, les violations des droits fondamentaux, notre cadre budgétaire absurde, notre manque de compétences pour certains sujets fondamentaux, nos règles d’équilibres budgétaires inopérantes et destructrices, tout ceci doit changer.
Et tout ceci peut changer.
En 2020, alors que dans certains Etats-membres, des hôpitaux n’arrivaient plus à recevoir de patients, alors que la capacité de certains Etats à se procurer des vaccins seuls était faible, la solidarité européenne est soudain apparue non pas comme un concept abstrait, une construction théorique, mais comme une nécessité absolue et vitale. En quelques semaines, les tabous des règles budgétaires, de la mutualisation des dettes, de la nécessité de relocaliser l’industrie sont tombés.
A peine la crise sanitaire semblait-elle se dissiper que la guerre éclata. Le 24 février 2022, nous étions brutalement ramené.e.s aux fondements même de toute cette histoire, de ce pourquoi nous ne devons jamais renoncer à faire ensemble : la protection de la paix, de nos valeurs communes, de la démocratie, de la stabilité du continent et de sa sécurité.
Sous le feu des missiles, à Kyiv, alors que l’Ukraine bombardée résistait pour nos valeurs, Volodymyr Zelensky fit alors ce geste qui nous rappela à toutes et tous, européen.ne.s, d’où nous venions, pour quoi et contre quoi l’Europe s’était construite: il signa la demande d’adhésion à l’Union européenne, illustrant avec gravité combien notre Union si critiquable représentait pour un pays menacé de disparition son seul horizon de survie.
Être européenne, c’est ne jamais oublier cela. Tout cela. Nos règles budgétaires toxiques, nos procédures inefficaces, nos institutions à renouveler, les majorités politiques qui nous emmènent dans le mur. La puissance de notre solidarité, la force de notre Union, la nécessité de protéger notre démocratie, l’Etat de droit, la lente et complexe construction juridique qui a fait de nous une communauté politique.
Etre européenne, c’est vouloir changer les Traités, réformer nos règles, donner à l’Union les compétences et les ressources appropriées, mieux protéger nos valeurs, les droits et libertés fondamentales, construire une citoyenneté européenne entière, donner plus de pouvoir au Parlement européen, renforcer les droits sociaux, protéger la planète et combattre les injustices.
Ce n’est pas hors de portée.
La Conférence sur l’avenir de l’Europe s’est clôturée aujourd’hui.
800 citoyen.ne.s tiré.e.s au sort ont travaillé pendant des mois pour élaborer des propositions. Pour une part, ces propositions nécessitent de changer les Traités. Une majorité au Parlement européen y est favorable. Au niveau des gouvernements nationaux, les choses bougent. L’Allemagne a un nouveau gouvernement. D’autres États européens sont dirigés par des gouvernements qui ont mis la justice sociale et l’environnement dans leurs priorités et sont prêts à amorcer une réforme du cadre européen. Les élections de juin ouvrent le champ des possibles comme jamais depuis des décennies. Rien n’est figé dans une démocratie. En juin, vous décidez.
Je voudrais finir avec une courte note personnelle.
Le 9 mai est la journée de l’Europe, l’anniversaire de la déclaration Schuman qui a marqué les débuts de la construction européenne.
Le hasard de l’histoire fait que c’est aussi l’anniversaire de ma compagne, Terry Reintke, eurodéputée allemande avec qui je partage, entre Bruxelles, Paris, Duisburg, Marseille et le reste du monde, ma vie.
Comme des millions de citoyen.ne.s européen.ne.s dont la vie quotidienne, affective, familiale, est profondément intégrée dans l’histoire européenne, l’Europe n’est pas pour nous une abstraction. Elle est une réalité concrète, un ensemble de droits qui nous permettent simplement d’être ensemble, de pouvoir fonder une famille, de vivre dans une même démocratie.
Alors que je m’en vais la rejoindre et souffler ses 35 bougies, j’ai l’espoir que les mois qui viennent marquent un tournant, un tournant qui fera de l’Europe une espace plus intégré, plus efficace, plus démocratique et plus solidaire, un espace de nouveaux droits, dans lequel nos enfants pourront s’épanouir en paix, librement, sur une planète protégée.
Bon 9 mai à toutes et tous.