« Il est temps que, comme c’est le cas chez tous nos voisins européens, les citoyennes et citoyens français élisent enfin leurs représentants selon un mode de scrutin proportionnel »
La nomination de François Bayrou au poste de premier ministre, au mépris de la demande d’alternance voulue par les Français, n’est en rien une réponse à la crise politique que connaît notre pays.
Cette crise que nous traversons depuis la chute du gouvernement Barnier n’est pas née le 4 décembre, lorsque celui-ci a été censuré.
Elle n’est pas non plus née au lendemain du 7 juillet, quand le président de la République a, contre la volonté des électeurs, qui avaient réclamé une alternance politique, et contre nos valeurs républicaines, choisi de nommer un premier ministre issu d’une force politique ultraminoritaire et qui avait refusé le front républicain, pour former un gouvernement s’appuyant sur l’extrême droite.
Elle a au moins commencé en 2022, quand, en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, la pratique présidentielle ultraverticale du pouvoir a définitivement fait dérailler la Ve République. Incapable de s’adapter à une situation d’une grande banalité dans tous les régimes parlementaires, le président de la République a en effet choisi d’affronter le Parlement plutôt que de le placer là où il devrait être, au centre de la vie politique. De manière inédite, il a fait passer des budgets et des réformes sans aucune majorité parlementaire.
La crise de régime dans laquelle Emmanuel Macron a plongé la France a, au milieu de ce marasme d’abus, de fautes historiques, de défiance citoyenne dopée au mépris démocratique, vu émerger un consensus politique croissant sur l’impérieuse nécessité de repenser nos fonctionnements démocratiques et institutionnels. Car, sans renouveau démocratique, la France ne saurait durablement retrouver la stabilité nécessaire pour affronter les grands défis qui se dressent devant nous.
Parmi tous les chantiers institutionnels qu’il faudrait entreprendre pour nous hisser, enfin, au rang des démocraties modernes et matures et qui sont de nature à permettre de construire une issue concrète à la crise actuelle, celui de l’introduction de la proportionnelle est à la fois le plus nécessaire et plus urgent que jamais.
Nécessaire, parce que le système majoritaire alimente notre crise de régime. Parce que le système majoritaire, c’est la culture de la paresse doublée du culte de l’irresponsabilité. C’est compter sur le mode de scrutin pour construire artificiellement des majorités politiques plutôt que sur le travail des responsables politiques. C’est être dans l’impasse quand cette majorité n’est pas là.
Nécessaire parce que le système majoritaire fabrique mécaniquement de la trahison et du mépris, en produisant des majorités artificielles qui existent au Parlement mais pas dans la société, et qui aboutissent à des lois potentiellement rejetées par une majorité de citoyens, nourrissant chez eux la défiance, le ressentiment et la colère. Nécessaire parce que le système majoritaire, ce sont des millions de voix perdues et silenciées à chaque scrutin, des millions de voix à travers le territoire, portées sur une candidature n’ayant pas remporté le second tour, que l’on n’entendra pas. Nécessaire parce que le système majoritaire, c’est trop souvent choisir par défaut, se résigner au vote utile plutôt qu’au choix de conviction. Nécessaire parce que le système majoritaire, c’est l’impossibilité concrète d’avoir une Assemblée nationale paritaire.
Ce changement est urgent, enfin. Urgent parce que si le système majoritaire a été toléré par les Français pendant des décennies, c’est que, malgré son absence de représentativité, il générait des majorités stables et permettait de tenir l’extrême droite hors du Parlement. Mais ces deux promesses ont volé en éclats. Pire, le système majoritaire est devenu source d’une profonde instabilité, et il est aujourd’hui le chemin le plus sûr pour permettre à l’extrême droite d’obtenir au Parlement une majorité qu’elle n’a pas dans la société.
Il est donc temps que le Parlement français représente tout simplement la société française, dans sa diversité, sa complexité, sa pluralité. Il est temps que chacun sache, en allant voter, que sa voix comptera, et qu’il n’est pas de meilleur calcul que celui de se prononcer pour le projet qui nous convainc le plus. Il est temps de dépasser la culture de la posture stérile, de l’immaturité politique et du raidissement autoritaire qu’elle nourrit.
Il est temps que, comme c’est le cas chez tous nos voisins européens, les citoyennes et citoyens français élisent enfin leurs représentants selon un mode de scrutin proportionnel et que notre pays puisse se prévaloir d’une réelle représentativité parlementaire, d’une vitalité démocratique renouvelée, d’une culture politique plus apaisée et constructive, au service de l’intelligence collective et de l’intérêt général.
C’est la raison pour laquelle le prochain gouvernement, s’il entend un tant soit peu répondre à la crise, doit absolument s’atteler à introduire la proportionnelle avant les prochaines élections législatives. Car c’est la seule assurance que nous ne nous retrouverons pas dans la même impasse à l’issue des prochaines élections.
Ce débat a récemment passé une étape en France. Beaucoup de forces politiques ne discutent plus de la nécessité de la proportionnelle, mais de ses modalités. C’est le sens de la proposition de loi que les écologistes ont déposée en juillet au Sénat : mettre humblement sur la table une option concrète, parmi toutes celles qui existent, pour alimenter un débat public qui, je l’espère, va s’élargir et s’approfondir.
Cette proposition est construite autour de quatre critères : garantir la meilleure représentativité possible, assurer une représentation équilibrée des territoires, être simple et compréhensible, et, enfin, être applicable dès maintenant et sans modification constitutionnelle. Elle consiste à élire les députés à la proportionnelle sur la base de listes régionales.
Cette proposition n’épuise évidemment pas tous les sujets qui doivent émerger au moment où un débat nourri sur le mode de scrutin s’engage. Elle n’est qu’une humble pierre à ce travail qui doit désormais aboutir pour assurer l’essentiel : que les prochaines élections législatives en France soient enfin organisées selon un mode de scrutin proportionnel.