C’est lors d’une rencontre citoyenne dans le quartier de Nueva España, à Madrid, que mon équipe et moi avons fait la connaissance de Lili Saint-Laurent. Entre les clameurs du match de foot qui se disputait non loin, le brouhaha des conversations et des verres qui tintent, quelques mots échangés avec elle ont suffi à piquer notre curiosité.
Diplômée d’histoire, restauratrice de profession et passionnée par la reliure, Lili Saint-Laurent quitte d’abord Paris pour s’installer aux Pays-Bas, où elle travaille tour à tour dans l’informatique, puis dans une pâtisserie d’Amsterdam. Juste avant de partir aux Pays-Bas, elle découvre qu’elle est atteinte d’une forme précoce de la maladie de Parkinson. Elle renoue alors avec son amour des mots et crée le blog Fils de Park’s : « quand j’ai commencé à écrire, il n’y avait pas beaucoup de jeunes qui avaient Parkinson. Avec le blog, on a essayé de communiquer [sur la maladie] pour changer les idées reçues ».
Après son déménagement en Espagne il y a huit ans, et au terme d’un « parcours du combattant », nous explique-t-elle, elle obtient d’être placée en invalidité et une carte française lui est finalement délivrée. Dans ces démarches longues et d’autant plus compliquées pour les expatrié.es, elle aura heureusement pu compter sur l’aide du service social du Consulat de Madrid, mais elle reste marquée par la sensation qu’en France, « quand on dépose la demande, on a à justifier de tant de choses, on se sent comme si on allait abuser de quelque chose, alors qu’on devrait être accompagné, dès le départ ».
Et, comme les cartes d’invalidité nationales ne sont toujours pas reconnues dans le reste de l’Union européenne, elle fait aussi la démarche du côté espagnol. Le contraste est marqué : « pas de questions tordues » de la part des médecins, et des délais d’obtention plus courts, qu’elle associe à un regard différent de la société espagnole sur la maladie et le handicap, plus inclusif qu’en France. Elle nuance : « en Espagne, peu de choses sont prises en charge, le système français est bien plus généreux, mais encore faut-il y rentrer ! ».
Si la maladie ne lui permet plus d’exercer une activité professionnelle, Lili poursuit sa passion pour la reliure et confectionne carnets et livres sur-mesure. Elle continue d’écrire et de faire vivre ses textes, notamment à travers un premier spectacle, « Fragments dopaminergiques », joué au théâtre de la Huchette en 2019 aux côtés de Jean-Claude Drouot, Pierre Santini et Emma Santini. Un second spectacle, « Sur le fil » (du nom d’un des poèmes de Lili), né du travail collectif de chercheurs, d’artistes et de personnes atteintes de Parkinson, sera joué ce 7 avril à l’université du Québec à Montréal et est déjà visionnable en ligne. Un projet qui a pu être mené à bien grâce aux visioconférences, car mené en pleine pandémie et sur deux continents, mais aussi car « utiliser Zoom a permis à beaucoup de personnes malades d’y participer sans avoir besoin de se déplacer », nous rappelle l’artiste. Et d’insister : la normalisation du télétravail est une grande avancée pour les personnes invalides, car si on ne peut pas rester assis sur une chaise au bureau toute la journée, on est quand même capables de beaucoup de choses !
Le prochain projet de Lili Saint-Laurent, un podcast participatif (« En Veux Tu – En Voix là !») qu’elle réalise en collaboration avec l’Alliance française de Madrid, sera un mélange de messages d’auditeurs et d’auditrices dont elle se fera la porte-voix, de poèmes, et de correspondances d’écrivain.es : tout ce qu’elle aime. Elle conclut : « il faut profiter des moyens de communication incroyables que nous avons aujourd’hui, qui permettent aux gens de garder le lien, et aux personnes isolées, de ne plus l’être ».