Jeudi aura lieu à l’Assemblée nationale la niche de l’extrême-droite.
La stratégie de la gauche et des écologistes est d’ordinaire extrêmement claire dans ces cas-là. Nous ne votons jamais des textes déposés par l’extrême-droite, jamais. Pour la première fois cependant, un certain débat a émergé dans nos rangs.
Par pure tactique, l’extrême-droite a en effet choisi de mettre à l’agenda un texte sur l’abrogation de la réforme des retraites, soit l’aspiration du plus grand mouvement social qui se soit produit en France depuis 1968, soit le combat politique majeur que la gauche et les écologistes aient mené, pieds à pieds, avec les syndicats et les citoyens, dans la rue, sur les plateaux et dans les votes ces dernières années.
Combat que l’extrême-droite a déserté, en plein mouvement social mais aussi lors de la campagne des législatives où, grisée par une perspective de victoire inédite, elle s’était empressée d’abandonner tout engagement sur le sujet et puis, lors des récents votes sur le budget où elle s’est affairée à voter contre tous les amendements le proposant.
Pour une raison assez simple au demeurant. L’extrême-droite ne veut pas abroger la réforme des retraites. Elle ne veut, qu’en charognard, venir se nourrir de la misère sociale et de la défiance citoyenne.
De fait, le vote du texte déposé n’amènera pas, et ne peut amener, à l’abrogation de la réforme des retraites. Et tout le monde le sait.
Seule une stratégie parlementaire conjointe des deux chambres, l’Assemblée et le Sénat, peut le permettre. Le RN n’a pas de groupe au Sénat, ce texte, adopté ou pas, finira quoiqu’il arrive son chemin parlementaire là où il l’a commencé.
D’ailleurs l’exposé des motifs indique bien que :
« Si les Français sont conscients de la nécessité de repenser et préserver notre système de retraite par répartition, ils savent également que son équilibre résulte d’autres facteurs, notamment la fiscalité, la démographie, la productivité et l’emploi, qui relèvent de choix politiques.
Ces choix politiques pourront être effectués lorsque le Rassemblement National accédera au pouvoir et sera en mesure de mettre en place la réforme globale qu’il propose depuis plusieurs années. »
En substance, le texte dit donc deux choses.
Tout d’abord, parce que nous connaissons le programme du RN, qu’ils veulent financer les retraites en fiscalisant notre système social, soit en tuant la sécurité sociale, et en discriminant les étrangers.
Mais surtout, que le RN n’a qu’un objectif : arriver au pouvoir.
L’Assemblée ne vote donc pas, dans les faits, jeudi, pour abroger ou non la réforme des retraites. Retrouver un vernis social, un crédit populaire que leurs renoncements ont fracturés, diviser le Nouveau Front populaire, seule alternative crédible à son accession au pouvoir, voilà le seul objet concret du vote et le terrible pari fait par le RN.
C’est le seul sujet du vote de jeudi : l’extrême-droite. Et au moment où cette dernière, déjà largement banalisée, a le pied dans la porte et menace crédiblement de prendre le pouvoir dans notre pays, ce que nous en faisons, nous.
C’est dans ce contexte que, dans la société comme dans nos organisations, certains considèrent désormais qu’il importe assez peu, au final, de savoir qui a déposé ce texte. Que certes, ce n’est ni idéal ni confortable, mais que l’essentiel pour le pays, ce sont les deux ans de vie volés par Macron et sa réforme injuste et antidémocratique. Que ne pas voter ce texte en raison du groupe qui l’a déposé serait perçu comme une démarche purement politicienne et vécu comme une trahison. Que celles et ceux qui s’occupent du fait que cela vienne dans une niche parlementaire RN sont des privilégiés, déconnectés de la réalité sociale.
J’ai grandi dans les quartiers populaires de Marseille. Mon père n’a pas son bac, il a commencé à travailler avec son père dès ses 15 ans. Ma mère touche une retraite de 600 euros par mois. Je n’ai pas de leçon particulière à recevoir de ceux qui dépeindraient mieux que les autres la vraie vie, sa violence et ses douleurs.
Mais j’ai une conviction profonde : Nous ne pourrions jamais collectivement nous relever d’avoir légitimé l’extrême-droite. Car c’est le chemin qu’elle emprunte toujours pour arriver au pouvoir. Celui que de fait, nous lui laissons.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls face à ce type de dilemme. Dans tous les pays européens, les démocrates sont confrontés à des questionnements similaires aux relents du siècle dernier. La responsabilité historique de la gauche et des écologistes français est donc monumentale. De ce type de vote se façonnent les grands mouvements politiques de notre siècle.
Je sais que c’est dur. Et en particulier pour celles et ceux d’entre nous qui sont élus de territoires particulièrement touchés par la souffrance sociale et la montée de l’extrême-droite.
Je ne crois chez mes amis personne moins convaincu que moi que la montée de l’extrême-droite en Europe est une menace existentielle et que nous ne pouvons pas avoir vécu, sur notre vieux continent, le gouffre de l’horreur sans s’employer à chaque instant à ne jamais reproduire les erreurs qui l’ont rendu possible.
Je crois simplement que la question de jeudi se résume à cela :
Donnons-nous le dernier coup de pelle sur le front républicain, qui après s’être effondré à droite s’effriterait à gauche aussi, front républicain sur lequel nous avons mobilisé le pays entier lors de ces élections législatives et qui est aujourd’hui le dernier rempart au basculement de notre démocratie ? Créditons-nous le RN d’un rôle à jouer dans les batailles sociales et dans la construction de l’avenir national ?
Si nous le faisions, nous éviterions certaines discussions difficiles sur ce vote certes, pour quelques jours ou quelques semaines. C’est à peu près tout ce que nous gagnerions.
Mais ce que nous perdrions, le repère inébranlable consistant à considérer que l’extrême-droite n’a aucune place dans nos luttes sociales, cela pourrait nous faire vaciller comme société entière. C’est un risque qui est plus grand que tous les autres, plus grand que nous-même, et que nous ne pouvons pas prendre.
Est-ce possible que nous perdions à la fin et malgré tout ? Que malgré notre intransigeance, l’extrême-droite accède prochainement au pouvoir. Oui. C’est possible.
Il ne suffit pas de faire barrage. Il faut être l’alternative juste, démocratique, égalitaire, écologique, ouverte, apaisée à la violence macroniste et à la haine lepéniste. Il faut gagner. Et ce n’est pas fait. Mais en toute circonstance, l’Histoire nous montre qu’après le fascisme, c’est sur la solidité de la résistance et l’inconditionnalité de l’antifascisme qu’ont pu renaître les démocraties.
Pour aujourd’hui, et pour demain, refusons l’escroquerie du RN.