Lors de mon déplacement en Amérique du Nord il y a deux semaines, j’ai eu la chance de rencontrer Odile Compagnon, architecte française installée à Chicago depuis vingt-cinq ans. Comme beaucoup de Français de l’étranger, Odile a participé à un échange universitaire, entre l’école de Versailles et l’université de l’Illinois, et, après quelques années en France, a fini par revenir s’installer à Chicago et travailler comme enseignante à l’université de l’Illinois, puis à la School of the Art Institute de Chicago.
Odile a eu l’immense gentillesse de prendre de son temps pour nous guider à travers les projets urbains qu’elle mène, avec d’autres volontaires, dans le quartier de North Lawndale.
L’histoire de ce quartier est inséparable de la grande migration afro-américaine du Sud vers le Nord des Etats-Unis qui a vu, dans les années 1950, une importante population noire arriver à North Lawndale, où étaient implantées de nombreuses industries. Des propriétaires immobiliers peu scrupuleux ont alors utilisé une tactique appelée blockbusting (qui consistait à racheter les biens des habitants blancs à bas prix, en jouant sur leur rejet des nouveaux arrivants afro-américains, et à les revendre ensuite plus cher à ces derniers). Après leur départ, les pouvoirs publics se sont progressivement détournés du quartier, les entreprises ont fermé leurs portes, et la population a commencé à décliner drastiquement – déclin qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Odile nous explique alors le concept de « désert alimentaire », qu’on a du mal à imaginer dans une ville française : à North Lawndale, l’absence de magasins alimentaires est telle que de nombreux habitants du quartier doivent se ravitailler dans les stations essence pour se nourrir au quotidien.
Odile est impliquée dans le quartier depuis plusieurs années, après que la ville de Chicago ait lancé un « plan d’amélioration de la qualité de vie », qui consiste à soutenir et organiser des projets locaux portés par les habitants. Elle met à profit son énergie et ses compétences d’architecte pour la création et l’entretien d’espaces verts et de jardins – comme ce « PermaPark » que nous avons traversé, un petit paradis de permaculture au milieu des immeubles.
En parallèle de son engagement pour les espaces verts du quartier, Odile travaille également beaucoup sur les espaces piétons, dans une ville où le transport en voiture individuelle règne en maître, où des communautés sont coupées en deux par des autoroutes, et où les liens humains ont peu d’espace pour se développer. Ici encore, il s’agit d’une aventure collective : l’architecte fait partie d’un groupe d’urbanisme multidisciplinaire (« Good City Group »), né de l’école d’architecture alternative Archeworks, fondée par l’architecte de renom Stanley Tigerman.
Tous ces projets, nous explique Odile, sont menés avec des moyens de fortune et beaucoup d’imagination : car aux Etats-Unis, pas de subventions comme en France, mais d’interminables dossiers de demandes de bourses, toujours insuffisantes. Et le soutien des services culturels de l’Ambassade de France ? Il n’y en a pas, du moins pas d’aide financière. Mais elle collabore régulièrement avec l’Alliance française de Chicago, par exemple pour présenter son travail avec le Good City Group (comme lors de cette conférence dans le cadre de la biennale de l’architecture de Chicago), ou avec la Villa Albertine (la résidence d’artistes française aux Etats-Unis) lors de la Nuit des Idées, où, il y a deux ans, les acteurs associatifs de North Lawndale ont pu venir présenter leurs projets. Une belle manière pour les institutions françaises aux Etats-Unis, grâce au lien créé par Odile Compagnon, de mettre en lumière ces initiatives locales qui fleurissent !
Bientôt de retour à Paris pour l’été, elle évoque son intérêt pour le travail d’une jeune résidente de la Villa Albertine, qui compare les inégalités systémiques à l’œuvre à Chicago et en Seine-Saint-Denis, dans le cadre d’un partenariat avec les Ateliers Médicis – une résidence d’artistes située à Clichy-Sous-Bois. Une belle synergie dans la création artistique et la recherche académique, qui fait le lien entre les territoires de France et de l’étranger